« Tbakhniss » pour les nuls

Dans l’art de remettre au lendemain ce que je peux faire aujourd’hui, j’excelle ! Amis assidus, prenez-en de la graine.

Cet art consiste à se la couler douce jusqu’à l’ennui, seulement ensuite réfléchir à ce qu’on devait faire, reprendre la décision de le faire, et à partir de la, ajouter un délai variable en fonction des individus pour l’exécuter. Le mien peut varier entre dans la foulée (dépend de quoi) et une année (des fois plus). Cette fois, cela a pris 1 semaine, je ne m’en sors pas trop mal !

Je me demande si cette attitude est propre aux maghrébins, je ne l’ai encore pas observé chez les occidentaux.

Il faut savoir qu’en marocain, on dispose d’un verbe dédié à la non-action : bakhness. ce qui veut dire « ne rien faire quand on a des choses à faire », et dans ma jeunesse j’ai été initiée à cette non-action par ma mère et mes tantes.

Après le déjeuner, au lieu de nous activer à ranger et vaquer chacune à ses activités, nous nous allongions sur les banquettes marocaines de notre salon-salle-à-manger-chambre-à-coucher pour « discuter » de « rien ». C’est très fort de trouver des non-sujets autour desquelles les discussions peuvent durer des heures, du moins jusqu’à la prière du 3asr (milieu d’après midi).

Autant dire que seul Dieu arrivait à nous faire bouger le c.. ou une visite impromptue d’une voisine ou une grande tante, parce qu’il ne faut pas déconner avec l’hospitalité marocaine.

Tbakhniss est une seconde nature chez moi. pourtant j’essaie de m’en défaire et déplore mon semi-échec (ou semi-réussite) puisque cela fonctionne uniquement pour les obligations professionnelles.

Pour tout le reste, ma nature me poursuit, me rattrape et me rigole au nez « hah t’y arrives pas », sur quoi je rétorque « juste parce que je le veux bien ». L’issu est souvent régie par la loi de cap ou pas cap entre mon esprit et ma tête.

Un exemple concret ; mes escaliers. avec mon mari, nous avons commencé leur rénovation il y a plus d’un an. après un délai de réflexion presque égal.

Première étape, arracher la moquette dont la communauté d’acariens égalait par son évolution celle de l’espèce humaine. il était temps et c’est allé plutôt vite.

Seconde étape, grattage de la colle qui roulait sa pelle au béton depuis des années. une belle fusion dont le décollage a nécessité de la chirurgie de précision. on en a chié. heureusement l’opération s’est déroulée quelques mois après la première et s’est étalée sur quelques mois.

Pendant ce temps, nos escaliers étaient contemporains ; du béton brut au rendu patchworké de colle, bien entendu un rendu évolutif au gré de nos motivations pour gratter. des morceaux de moquette bleue en guise de cache misère assuraient un ensemble qui ne manquait pas de singularité.

YOUPIII ! on avait terminé « enfin ! ». et on a apprécié la fin. encore plus que si on l’avait fait dans la foulée..

Désormais, il fallait commander les planches de bois et les poser. Cela tombait bien, mon mari a un ami ébéniste, décision de l’appeler pour avoir son avis et son devis. Son prénom est Anthony, appelons le Anto (??).

Quelques semaines, ou mois plus tard, c’était chose faite. Je viens de remarquer qu’Anto est occidental mais tout aussi bekhnass que nous ! un baba cool en même temps, le précipiter serait un blasphème.

Il s’est donc passé quelques mois entre son passage chez nous, ses différentes demandes de devis, sa commande du bois et la pose.

Je t’épargne les détails (c’est un résumé en effet), mais dans l’art du tbakhniss avant de s’activer, il est important de se fixer de grands objectifs. car tbakhniss est proportionnel à l’ampleur de l’obligation.

Le mien d’objectif était de reproduire un motif de mosaïque islamique sur mes contre-marches, au pochoir svp et peint à la bombe. étant donné que je n’avais expérimenté ni les pochoirs ni les bombes auparavant, la perspective de cette réalisation se faisait plus rigolote et bien plus galère, un excellent objectif en somme.

D’un coté ma documentation sur cet art qui mêle mathématiques et géométrie m’a appris énromément. Je m’y suis plongée pendant la période des fêtes de fin d’année 2012. Cela m’a absorbée pendant un huitaine de jours non-stop, m’épargnant ainsi les foules prêtes à tout écraser pour un cadeau du papa Noel. dans mon sous-marin intérieur, j’étais motivée et impatiente de voir le rendu alors trêve de tbakhniss et place à l’action.

Je me suis vite rendue compte que la peinture à la bombe, en pochoir de plusieurs couleurs pour réaliser des motifs précis, était une très très très mauvaise idée.

Ayant commencé par la couleur jaune, j’en ai eu pour des semaines à éradiquer les particules de peinture volante de toutes les pièces de ma maison. et jusqu’à aujourd’hui, mes chaussettes de plusieurs jours finissent avec une légère décoloration jaune.. de la vraie merde mon idée de bombe.

Dans un dernier souffle de motivation (je ne te cache pas que j’ai failli laisser tomber), j’ai vidé les autres bombes dans des pots pour continuer au pinceau et seulement la découvrir les joies d’une peinture savamment liquide sur un support vertical. j’ai revu mes objectifs à la baisse, le motif sera sur une marche sur deux. et il a fallu un break tbakhniss pour retrouver la motivation de rattraper les coulures du pinceau et les nuages de la bombe.

Nous sommes en mars désormais, les planches collées par Anto depuis 15 jours, les motifs rattrapés depuis 16 jours. il manque les joints, déjà achetés, à poser je ne sais quand. puis finaliser mes motifs, car oui j’envisage une suite à ma déco mosaïque. grâce au.. tbakhniss c’est ça !

Presque au bout de cette expérience, je constate que si on avait refait nos escaliers d’un coup, on aurait eu un seul moment de satisfaction, quand avec l’art de remettre au lendemain ….etc, nous en avons plusieurs, ce n’est pas rien !

Dans la même lignée mais plutôt catégorie tuiles de certains jours, j’ai cassé la plaque de ma voiture il y a quelques semaines pour ne la réparer qu’hier ! pourtant l’opération m’a pris tout juste 1 heure et 14€, et je ne travaille même pas !

Idem pour la soupe marocaine que j’ai promis à ma famille il y a quelques semaines, j’ai même acheté du cèleri frais pour l’occasion et pour me mettre une échéance complémentaire au cas où la fainéantise daigne pointer son nez (pas folle la bête).

De la couleur verte, le cèleri est passé au jaune.. mon mari m’a dit « ton vieux cèleri tout fané, je le téj ! » je déteste jeter la nourriture ! sans parler des pois chiches qui commencent à former leur propre éco-système dans mon frigo.

Idem pour le lavage de voiture, de linge, toutes les tâches ménagères en somme. Je suis une femme en bois comme dirait mon mari, et je le vaux bien comme dirait l’autre.

Le point positif dans cela c’est mon grand père et tous les grands pères maghrébins, tels des jalons dans les rues de ma ville de naissance, souvent accroupis en djellaba, devant leur maison, la mosquée ou ailleurs, seuls ou en groupe, pendant des heures.

Quand je demandais à mon grand père ce qu’il faisait, il me répondait « j’écoute mes os » (en arabe « kantsanet le3dami »). Bien que je ne voyais pas ce que ses os pouvaient lui raconter ni comment il pouvait entendre cela, l’idée me paraissait plutôt cool.

Alors de plus en plus j’ai envie d’être à l’écoute des mes os pousser, s’entrechoquer et flirter avec mes organes. Cela me permet d’apprécier le temps au lieu de lui courir après sans jamais le rattraper.

Certains jours avant, je ne supportais plus ma tête. Il fallait que je change. couper mes cheveux, ou les teindre, ou les tresser, changer de lunettes, ou de maquillage, faire les boutiques. désormais  j’apprécie le temps de ma mocheté avant de changer, et cela change toute l’appréciation que j’en ai après… grâce à mon grand père, grâce à ma mère et mes tantes, et aussi à mon mari dont je soupçonne quelques gênes maghrébins, ou la baba cool attitude.

Il est bon d’apprécier le temps et les choses..

..un peu comme prendre la route côtière pour apprécier la vue de sa vie, plutôt que d’être à 150 km/h sur autoroute et la voir juste défiler sur les côtés.

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